le 'Tout Numérique' |
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Vous en avez peut-être déjà entendu parler,
comme quoi nous serions à l'aube d'une nouvelle ère, celle du cinéma
numérique. Le problème jusqu'à maintenant, c'était la
résolution d'une pellicule film, bien trop élevée pour la définition
disponible en image numérique. Grâce à des capteurs CCD haute
résolution couplés à des supports de stockage haute capacité,
ce n'est plus un problème et la résolution d'une pellicule photo-chimique
peut enfin être atteinte sans utiliser de pellicule. Nous verrons bien entendu
naître les mêmes débats concernant l'image numérique et
analogique, ces mêmes débats auxquels nous avons eu droit lorsque l'audio
analogique a lentement évolué vers le numérique. Des arguments
du genre :
- "Le comportement d'une pellicule film en basse lumières ne présente
pas la même granulosité que le bruit de fond d'un signal vidéo
numérique."
- "Mais ils ont déjà des 'plug-ins' (ça vous rappelle
quelque chose, n'est-ce pas ?) qui simulent ce comportement".
Le pionnier dans ce domaine est encore une fois George Lucas. Il a lancé le
principe du montage numérique il y a 20 ans de cela avec les logiciels Edit
Droïd et Sound Droïd, pour Star Wars : A New Hope. Il a aussi ré-introduit
les règles de base en terme d'acoustique dans les salles de cinéma
(grâce au Theater Alignment Program, plus connu sous le sigle THX) ; il a révolutionné la façon d'utiliser la caméra
avec l'aide de John Dykstra (ce qui allait déboucher sur le système
du Motion Control) ; il a placé la barre au plus haut en matière
d'effets visuels traditionnels ou numériques (via l'une des branches
de Lucas Films : Industrial Light & Magic) ; il a aussi établi
un nouveau standard de qualité pour le LaserDisc (le label THX pour
Laserdisc, qui sera j'espère très vite appliqué au DVD, vu les
merdes qui sont maintenant éditées dans ce nouveau format, exactement
ce qui s'était passé quand le Laserdisc est devenu chose commune)...
Et maintenant il s'apprête à révolutionner la manière
dont les films seront tournés et distribués. La Menace Fantôme
était censé être le premier 'vrai' film entièrement
tourné sans pellicule (direct to disk... d'énormes disques durs
.... de multiples systèmes RAID.... on est dans l'ordre du Teraoctet). Mais pour diverses raisons, une partie seulement du film fut tourné
ainsi.
Avec Star Wars 2 : The Balance of the Force, il devrait enfin pouvoir réaliser
son rêve.
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La grande révolution n'est pas tellement dans le tournage, plus dans la manière dont le film sera distribué |
La grosse différence lors du tournage, bien sûr, c'est que vous utiliserez une caméra vidéo à la place d'une caméra film, mais pas un bête caméscope ordinaire ! Ici, la résolution du CCD qui convertit l'image optique en signal vidéo est un millier de fois plus élevée, sinon 10 000 fois plus élevée, rivalisant enfin avec la résolution d'une pellicule film. Puis il faut stocker les dizaines et dizaines de MO par seconde qui sortent de votre caméra !!!! Heureusement, des sociétés comme SONY sont en train de lancer des supports capables de stocker plus d'un Teraoctet d'information (ça nous fait plus de 1024 Gigoctets). Vous pouvez toujours utiliser un système RAID (Redundant Array of Independant Disks : plusieurs disques durs normaux mis en parallèle, imitant ainsi un seul disque dur énorme) pour sauvegarder toutes ces données, mais vous allez de toute façon très vite ressentir le besoin d'un support un peu moins coûteux pour faire votre backup, une fois les disques pleins !
A partir de là, la post-production est relativement identique à la méthode vue précédemment. Le monteur peut travailler sur une copie basse résolution des images et du son, construire une EDL, etc...
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La distribution du film n'aura rien à voir avec la façon dont on procède actuellement. |
Lorsque vous allez voir un film comme L'Homme Sans Ombre, ou Mission to Mars... quelle part reste-t-il, de ce que vous voyez à l'écran, qui n'a pas été transférée en numérique à un moment donné de la post-production pour ajouter tous ces effets ? Puis, comme les salles de cinéma sont équipées de projecteurs traditionnels depuis presque un siècle, ces images numériques truquées doivent être re-transférées sur une pellicule film, pour l'exploitation en salle.
Le tout premier film à avoir été projeté en numérique fut Toy Story 2, un film qui se prête parfaitement à ce type de technologie puisqu'il est entièrement composé d'images de synthèse ! Pour ce faire, certaines salles (très peu nombreuses. En France, une seule a testé ce nouveau procédé, le Gaumont Aquaboulevard à Paris) pouvaient s'équiper d'un matériel spécial dans leur salle de projection. Tout d'abord, un système à 3 micro-miroirs (plus d'1,3 millions !) haute-résolution est 'glissé' entre l'ampoule du projecteur et l'objectif, ce qui signifie qu'il n'y a pas d'investissement majeur concernant le projecteur. Les images qui se forment sur l'écran LCD sont ainsi projetées sur l'écran, comme l'auraient été les images d'une pellicule passant par là. Pour alimenter l'image du LCD, surtout à une telle résolution, il vous faut un support de grande capacité. C'EST LA QUE SE TROUVE LA REVOLUTION.
Pour l'instant, ils utilisent un système RAID. Il suffit de sortir de la camionette de livraison un rack informatique bourré de disques durs (72 GO au total !), sur lesquels le film a été préalablement copié par le distributeur (Gaumont, Pathé, UGC...), et de connecter tout ça au LCD et vous êtes prêt à projeter ! Une variante qui remporte déjà pas mal de succès, plutôt que d'utiliser plusieurs disques durs, consiste à utiliser le.... DVD !!! Là aussi, il en faut plusieurs pour conserver une bonne qualité d'image. Quelle que soit la méthode utilisée, un algorithme de compression sans perte (je reste sceptique quant à la véracité du terme) développé par Texas Instruments est appliqué à l'image pour réduire son débit et un algorithme de réduction de débit est utilisé pour les mêmes raisons sur l'audio (on a apparemment perdu la bataille de ce côté là !!!). Pour un système basé sur le DVD, le taux de compression de l'image serait un peu plus élevé, mais un coursier en patins à roulettes peut passer en coup de vent à la salle de cinéma pour leur apporter un film, qui tiendrait dans la poche de son blouson !
CE QU'ILS S'APPRETENT A FAIRE (et ils ont déjà testé la méthode sur La Menace Fantôme, si mes souvenirs sont bons) C'EST ENVOYER LES DONNEES A LA SALLE, DIRECTEMENT DEPUIS LE DISTRIBUTEUR, VIA LIAISON SATELITTE OU CABLEE !!!!!!!
Le gros soucis du distributeur est, bien entendu, de trouver un moyen d'empêcher les gens de pirater les données (surtout s'il s'agit d'une liaison satellite) et de les copier. Avec le débit d'une telle transmission, je souhaite bien du courage à ces pirates, concernant leur capacité de stockage, mais d'ici quelques années, des supports de 100 GO à moins de 50 Fr ne seront certainement pas du domaine du rêve.
Mon gros soucis concerne le côté artistique du problème (je me contrefiche des pirates, je chie sur les gens qui non seulement ne produisent rien, mais en plus se vantent de détrousser ceux qui s'en donnent la peine).
Lors d'un récent entretien accordé à L'Ecran Fantastique, à propos de la sortie de Men In Black en DVD, Barry Sonnenfeld a plutôt bien résumé l'avenir du cinéma, une fois que cette technologie sera devenue un standard. Lorsqu'on lui demanda si les scènes supplémentaires qu'il avait filmées pour MIB, mais non incorporées dans le montage final, avaient tout de même été tournées sachant qu'il pourrait les inclure dans le DVD... il alla encore plus loin dans sa réponse. En gros, voici ce qu'il nous a confié :"Imaginez George Lucas sur le tournage de Star Wars 3. Il filme de nombreuses prises supplémentaires, tout comme il l'avait fait sur La Menace Fantôme, pour tester des variantes autour de l'histoire principale, pour ajouter ou retirer un personnage, etc. Ìl sait très bien que tout cela ne pourra jamais tenir dans la version définitive du film. Mais c'est là tout le problème, il n'y a plus de version définitive. Disons que trois semaines après la sortie en salle, les entrées commencent à faiblir. Qu'est-ce qui empêche George d'envoyer un nouveau DVD aux salles, leur disant de remplacer le disque n°2 avec celui là, qui contient de nouvelles scènes, ou des scènes différentes, avec peut-être des personnages encore inconnus dedans ? Est-ce que les gosses ne se précipiteront pas de nouveau dans les salles ? Bien entendu ! Et qu'est-ce qui empêche George de recommencer trois semaines plus tard ?"
J'espère que ces gens auront l'intégrité nécessaire pour éviter d'utiliser des moyens aussi mesquins, mais je suis certain que les distributeurs et les maisons de production seront les premiers à pousser dans cette voie, car tout ce qui compte pour eux c'est l'argent, oubliez ce qui est moral ou non. On verra avec le temps, mais j'ai bien peur que la vision de Barry Sonnenfeld soit plus qu'une vague impression : une prémonition.
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