Droit de réponse (envoyé à Rock-Sound)

Cher M.

Je souhaite obtenir un droit de réponse concernant l'article WATCHA / PLEYMO du N° de Juin 99, qui m'écoeure par sa mauvaise foi. Je suis l'ingénieur du son bénévole de WATCHA depuis 3 ans, et comme c'est vous qui avez signé l'interview, je pense que vous voyez très bien pourquoi je suis en colère. Je ne voudrais pas que ma réputation de producteur soit ternie suite à cet article.

Aussi, j'aimerais que vous publiiez la lettre suivante (que j'ai aussi adressée à
rocksound@wanadoo.fr) in extenso, dans le courrier des lecteurs, ou sous toute autre rubrique pouvant rétablir efficacement le préjudice.

C'est très important vis à vis des autres groupes qui sont en train de me contacter pour leurs albums et qui ont lu ces lignes. Ils se demandent peut-être si ça vaut la peine.

En vous remerciant d'avance pour votre compréhension.

Philippe Chambin.


Paris, le 18 juin 1999

Philippe Chambin
Ingénieur du son des Watcha, Semitones, Outloud, etc.


Je souhaite exercer un droit de réponse concernant l'interview WATCHA/PLEYMO du mois de juin. Je suis écoeuré ! Dégoûté face à la mauvaise foi de certains membres de WATCHA. Je travaill(ais) systématiquement et bénévolement avec eux depuis plus de 3 ans. Je ne peux laisser passer certains propos car d'autres groupes me contactent pour travailler par rapport, entre autres, au son de cet album et il faut que les choses soient claires. Vos amis lecteurs pourront peut-être aussi se faire une idée de la manière dont les choses se passent réellement en studio. Désolé si le côté un peu mystique de l'expérience va prendre un petit coup sur le groin.

Ma responsabilité sur cet album est ramenée à celle du "gars derrière la vitre" (merci Bob). Dixit Manu, répondant à Marc (PLEYMO), qui trouve étrange qu'ils aient eu si peu d'aide de la part de cet ignoble tâcheron : "Ben, on avait un ingé-son, mais il était juste là pour mettre les choses sur bande. Parfois, quand il allait se coucher, nous on continuait à enregistrer seuls." Quelle naïveté ! Si représentative du musicien de rock moyen dans ce pays.

Récapitulons la production de cet album, au demeurant, excellent, mais qui ne s'est pas fait sans mal. Sur 15 jours d'enregistrement puis 15 de mix prévus, l'enregistrement à lui seul prendra 29 jours ! Je ne cherche pas à descendre le groupe, c'est tout à fait normal de déborder. C'est tout à fait normal aussi, lorsqu'on travaille non-stop (j'insiste là dessus ; on mange souvent d'une main dans ces cas là, pendant que l'autre manipule le matériel) et plus de 15 heures par jour pendant 29 jours, de ressentir un peu de fatigue (quelle lopette cet ingénieur). Mais ce sont des horaires "normaux" dans ce métier, je ne me plains pas, j'explique. Les musiciens se relayant, eux, j'ai effectivement dû confier quelques re-res de guitare et de basse à Martin (l'assistant), vers la fin, alors que j'essayais de retrouver des oreilles. Pour toutes les voix, la batterie, les guitares et basses rythmiques, j'étais aux manettes. De même pour 95 % des autres éléments d'arrangement. Honte sur moi alors d'avoir délégué un peu de travail mineur, que bien entendu, je ne prenais même pas la peine d'écouter après mes longues siestes au bord de la piscine (en mars, en Belgique).
Naïfs !

Comment peut-on être "juste là pour mettre les choses sur la bande" lorsqu'on partage tout sur une si longue période ? Marc de PLEYMO a compris, lui, l'implication de Stéphane Kramer, qui est la même que la mienne, mais par contraste, suite à l'ensemble de leurs propos, on a l'impression que les pauvres WATCHA n'ont pas bénéficié d'une telle complicité.
Naïfs !

Manu nous dit "que ce soit financièrement ou artistiquement, c'est notre disque à 100 %". C'est vrai qu'il y a un son WATCHA, je resterai toujours honnête dans mes propos, mais croyez-vous qu'il y ait une seule manière de "mettre les choses sur bande" ? Le single Concrete Lie (version enregistrée bien avant celle de l'album) sorti sur la compil METAL 13, qui pour moi est grandement responsable du succès de WATCHA actuellement, démontre bien que l'on peut prendre les mêmes musiciens, le même morceau, mais avoir un son assez différent. C'est en partie l'état d'esprit des musiciens qui dicte la direction sonore d'un titre ou d'un album à un moment de leur carrière, mais on ne "jette" pas les sons sur une bande, l'ingénieur a mille façons d'enregistrer la même batterie, les mêmes guitares.
Naïfs !

Maintenant, le comble de l'ingratitude : "financièrement ou artistiquement, c'est notre disque à 100 %". Là, ce n'est plus de la naïveté, c'est de l'insuffisance mentale. Ne serait-ce que par considération vis à vis de Laurent Lefebvre (leur manager), qui a investi bien plus que nous tous de sa poche, un musicien ne doit pas dire une chose pareille, même si ça fait vachement cool. Pour des raisons juridiques dans lesquelles je ne rentrerai pas, j'ai accepté d'engager
15 000 Frs dans le budget de l'album, en plus de mon travail de production bénévole (et non seulement d'ingénieur du son, petit étourdi) sinon l'album ne sortait carrément pas. Cette somme représente plus que ce que les musiciens eux-même ont investi ! Bel exemple de totale insouciance et de non-complicité de ma part.

Je n'évoque en détail ni le mixage, où des musiciens parfois absents, parfois semi-endormis sur le canapé sous l'emprise d'herbes de Provence, m'ont grandement aidé à définir le "son Watcha", ni même le mastering, où j'ai dû apporter bon nombre de corrections en dernière minute, sous peine d'un album tellement exagéré dans les graves qu'il en serait inécoutable. Tant de désintérêt de ma part, tant d'oisiveté !

Quand on travaille trois ans avec quelqu'un qui accepte de ne pas être payé parce qu'il croit en vous, on lui fait au moins le putain de T-Shirt en exemplaire unique qu'il attend depuis maintenant 6 mois !

J'espère ne pas avoir découragé tous les lecteurs qui, à défaut de vouloir être musiciens (aiguisez vos dentiers), souhaitent se lancer dans une carrière d'ingénieur du son : l'ingratitude est bien souvent notre seul salaire avec certains groupes. Mais heureusement, d'autres ont su garder la tête froide. THE SEMITONES, LOFOFORA, OUT LOUD, GUMCHEWA, et bien d'autres moins connus n'ont pas subitement changé leur comportement à mon égard, une fois le succès venu. Qu'un groupe veuille travailler avec quelqu'un d'autre après moi, je n'ai absolument rien contre, du moment qu'on ne mente pas sur les raisons de ce choix lors des interviews qu'on accorde.

Vive le Rock ! A bas l'état d'esprit de merde du rock !