Son pour le Film

LE gros problème de la prise de son pour le court-métrage (je n'ai fait aucun long-métrage, mais les techniques sont identiques) c'est le manque de moyens, et donc généralement, il n'y a pas de budget pour des séances d'ADR (réenregistrement des dialogues en post-production). Il faut donc un son synchrone (autrement dit : les dialogues) exploitable, prise après prise, plan après plan, quel que soit le décor naturel choisi, qui, là encore pour des questions de budget, est rarement adapté à la prise de son !

Heureusement, les technologies de microphonie HF ont fait d'énormes progrès et permettent bien souvent de faire des miracles.

L'autre problème vient du fait que, toujours pour des raisons pécunières, vous êtes bien souvent seul à la prise de son... seul à tenir la perche, gérer les niveaux parfois sur plusieurs magnétos, et tenir le rapport son à jour !


Je m'en rends compte maintenant, et c'est un peu tard, mais je n'ai pratiquement pas de photos des tournages que j'ai pu réaliser par ci par là ces quinze dernières années. Effectivement, on est dans ces cas là plus occupés à lutter contre les mauvaises conditions de prise de son (liées à la petitesse du budget) qu'à faire des photos ! Il est aussi rare que d'autres personnes pensent à en faire, en fait : tout le monde bosse !!

Je vous propose néanmoins un petit tour d'horizon commenté du dernier en date (avril 98), où là j'ai craqué, vu le lieu de tournage
(St Pierre, Martinique) ! Le thème est nettement moins festif : l'enfance maltraîtée. Le film est commandité par une association qui a pour but de sensibiliser les gens à ce problème de par le monde, au fait que bien souvent un enfant meurt des suites de mauvais traitements alors que son entourage est au courant depuis des mois.

15 jours de prévus pour ce projet, repérages inclus, ce qui ramène le tournage à 10 jours. A la lecture du scénario, je sais déjà que je vais rencontrer de gros problèmes de prise de son liés, entre autres, aux décors naturels :

1) les acteurs principaux sont deux enfants
(donc petite voix). Je découvre avec horreur que le second rôle, une petite fille de 11 ans, a encore moins de voix que Charlotte Gainsbourg !!!
 
 

St Pierre, avec sa célèbre Montagne Pelée, exceptionnellement dégagée


  2) Certaines scènes s'avèrent être le pire cauchemar du preneur de son : groupe de mômes qui parlent à tour de rôle (je n'ai que deux micros cravate HF) sur une plage avec la nationale à 30 mètres. Tout le monde est en maillot de bain, nulle part où planquer un micro cravate sinon dans le sable ! La circulation fait plus de bruit que les dialogues, il faudra envoyer quelqu'un en amont stopper les véhicules, sans Talkie-Walkie, la tâche est rude. Au bout de deux prises, les automobilistes craquent, et débordent notre "service d'ordre" (un seul type pas très motivé).
une partie de l'équipe, dont le réalisateur Patrick Palmyre (au centre) et le chef-op Joël Krellensteïn (à droite).  

Une autre scène se déroule dans une église, où la petite fille se confesse (donc avec une voix encore plus riquiqui que d'ordinaire) auprès du curé. La cathédrale de St Pierre est magnifique, mais comme il fait là bas une température clémente toute l'année, les 'fenêtres' n'ont pas de carreaux, et la route principale de la ville passe juste devant. Impossible d'obtenir le son intime qu'on attend d'une telle scène avec tous ces camions. Même en bloquant la circulation, le bruit de fond résiduel de la ville est beaucoup trop présent. Il faut aussi souligner le côté très "klaxxon relié à l'accélérateur" des gens du coin !  
  l'un des décors retenus : le jardin de la propriété privée du maire. Pas con le maire, elle surpombe la baie, la vue est magnifique.

  Le budget minuscule ne permet pas de louer le matériel requis, au tarif normal du moins. L'équipe image réussit à décrocher un prix sympa chez PING PONG. Je profite de mon 'réseau' d'anciens élèves (ESRA / CREAR / SAE : ça sert aussi à ça d'être prof !) implantés un peu partout pour obtenir auprès de TAPAGES de quoi m'en sortir :

DAT portable Portadat HHB
: les préamplis sont corrects, et l'écoute casque dématrice le format MS. Je ne prends pas l'option time-code puisque de toute façon, l'image n'a pas prévu de tourner au TC. OK pour le micro perche, mais que faire avec les HF ? Je n'ai pas le budget pour un NAGRA-D, ni de quoi louer un second Portadat. Solution :

DAT portable AIWA HD-S100 : matos perso, qui a donc permis d'enregistrer sur ses deux canaux, et indépendamment, les deux récepteurs HF. J'avais peur qu'il ne résiste pas à l'humidité, mais il a parfaitement tenu le choc, contrairement à d'autres éléments. Bon matos Aïwa !!!

Joël Krellensteïn et ses deux jouets

 

Micro MS PEARL MSH10 : micro MS hypercardio pour la capsule centrale. Malheureusement, il est beaucoup trop sensible aux bruits de manipulation, et même au bout d'une perche en kevlar avec une bonne suspension, un coupe bas sera nécessaire pour éliminer les "thumps" basse fréquence. Quel dommage, mais le MS Neuman était à 1000 frs plus cher !

2 systèmes micro-cravate HF AUDIO
(j'y peux rien, c'est la marque qui s'appelle ainsi !) : excellents en réception, sauf que l'humidité a eu raison d'un des micros dès le premier jour !!! Impossible de résoudre le problème, rien n'y a fait. J'ai terminé (ou plutôt devrais-je dire 'commencé') le tournage avec un seul HF. C'est ça aussi les petits budgets : ne pas pouvoir prévoir du matos de sécurité.
 
 

votre serviteur, avec un des jouets de l'équipe image


 

installation d'un travelling sur le ponton du port, un bref instant de détente pour moi !

 

Une fois les niveaux des HF réglés sur le DAT Aïwa pour une scène, les niveaux ne changeant pas à priori, je pouvais me consacrer au DAT Portadat pour les niveaux de perche, plus variables.

Comme je devais gérer ces niveaux ET percher en même temps, j'ai bricolé un système inspiré des portes étendards de l'armée napoléonienne, qui permet de se soulager les lombaires, le poids de la perche reposant sur les hanches. On peut alors libérer une main pour gérer les niveaux quand on est seul au son. Une après-midi au BHV m'a permis de bricoler un système satisfaisant pour moins de 300 F.
 
 

quelques dizaines de minutes plus tard


  C'est tout de même un sacré jonglage que de se promener avec le harnais, un DAT autour du cou, par 35° à l'ombre, courant entre chaque prise pour arrêter/relancer le DAT des HFs, pour que les compteurs n'aient pas trop d'écart entre les deux cassettes, pour une même prise. En plus de cela, il fallait tenir à jour non pas un mais deux rapports son, les valeurs d'Absolute Time n'étant jamais vraiment identiques sur les deux cassettes, malgré mes allées et venues !

une plage typique du coin, quel tournage insoutenable n'est-ce pas ?

 

EDF nous a gentiment prêté leur plus haute grue, avec les deux opérateurs, pendant une matinée, permettant ainsi une superbe prise de vue d'ensemble de la ville. A vue de nez, la nacelle s'élève bien à plus de 15 mètres. Comme le système hydraulique est assez bruyant, et que la nacelle est très exigüe, j'opte pour une prise de son séparée de celle de l'image. La prise de vue fut donc effectuée, avec un mouvement ascendant, puis je suis monté à mon tour, attendant d'être au sommet pour lancer la prise de son. Un peu de montage son fut nécessaire pour faire coïncider les bruits de moteur des véhicules qu'on aperçoit au sol avec ceux qui figurent 10 minutes plus tard (et qui sont bien entendu sans rapport) sur ma prise de son.  

 

on distingue la tête de perche au-dessus de la nacelle


  Voilà pourquoi ce parapluie figure dans tant de photos. Les saisons n'étant plus ce qu'elles étaient (ah ma bonne dame !), le tournage avait été prévu bien en dehors de la saison des pluies en Martinique, mais ça n'a pas empêché des averses courtes et régulières de nous compliquer le travail. Le parapluie était donc nécessaire pour protéger la caméra.

Un coup de vent l'avait emporté dans l'eau lors du tournage sur le ponton, et il a fallu que quelqu'un se dévoue pour aller le chercher. "A contre coeur", j'ai décidé de plonger dans cette eau limpide à 28° ! Quelle torture ce métier !!!

il pleut mais elle est bien bonne !

 

La post production s'est faite avec quelques galères prévisibles :

1) les DAT n'étant en aucun cas synchrones au niveau de leurs horloges audionumériques (mon portable AIWA est vraiment un truc ultra grand-public, donc pas d'entrée d'horloge), les formes d'onde glissent entre la perche MS et les micros (le micro !) HF dans les plans assez longs. Un phasing glissant est perceptible sur les fonds sonores. La solution typique : isoler les phrases sur les pistes de cravate, et rattrapper la phase à chaque réplique.
 
 

écran total, à renouveler toutes les heures sous peine de grosses cloques purulentes !


  2) Le télécinéma ayant été fait à 25 i/s comme il se doit (la vidéo à 24 i/s n'existe pas, et le système 24P n'existait pas à l'époque), la seule solution viable pour assurer une synchro du son, qui lui était toujours à 24 i/s, fut de 'varispeeder' chaque prise de son synchrone retenue par le réalisateur de 25/24èmes.
Le temps de calcul étant tout de même assez long, ça a pas mal ralenti le processus de resynchronisation du son synchrone.

Serge Anton, l'assistant opérateur, demande certainement à être rappatrié d'urgence, les conditions de tournage sont vraiment insupportables (quel bande de veinards, quand j'y repense !!!)